pembrolizumab (nom commercial : Keytruda®)
Le pembrolizumab, commercialisé sous le nom de Keytruda®, représente une avancée majeure dans le traitement du cancer depuis son développement par les laboratoires Merck. Il s’agit d’un anticorps monoclonal humanisé de type immunoglobuline G4 kappa (IgG4κ) qui appartient à la famille des inhibiteurs de points de contrôle immunitaire. Ce médicament agit de manière fondamentalement différente des chimiothérapies traditionnelles en réactivant votre propre système immunitaire pour qu’il reconnaisse et détruise les cellules cancéreuses12.
Le pembrolizumab a été développé grâce à des techniques de biotechnologie avancées utilisant des cellules d’ovaires de hamsters chinois modifiées génétiquement par la technique de l’ADN recombinant. Cette approche permet de produire un anticorps possédant une altération stabilisatrice de séquence dans la région Fc, ce qui optimise sa stabilité et son efficacité. Le médicament est disponible sous forme de solution à diluer pour perfusion à 25 mg/mL, présentée en flacons de différentes tailles pour s’adapter aux besoins posologiques individuels3.
La première autorisation de mise sur le marché a été obtenue auprès de la FDA américaine en 2014, suivie de l’autorisation européenne par l’EMA en 2015. Depuis lors, le pembrolizumab a révolutionné la prise en charge de nombreux cancers et est devenu l’un des traitements d’immunothérapie les plus prescrits au monde3.
Comment agit le Pembrolizumab ?
Pour comprendre l’action du pembrolizumab, il est essentiel de saisir le rôle des points de contrôle immunitaire dans votre organisme. Normalement, votre système immunitaire possède des mécanismes de régulation sophistiqués qui empêchent une réaction excessive pouvant endommager les tissus sains. L’un de ces mécanismes cruciaux implique la protéine PD-1 (programmed cell death-1) située à la surface des lymphocytes T activés14.
Dans des conditions physiologiques normales, lorsque les ligands PD-L1 ou PD-L2 se fixent sur le récepteur PD-1, ils envoient un signal d’arrêt puissant aux lymphocytes T, les empêchant de poursuivre leur action destructrice. Ce système de régulation est essentiel pour maintenir l’équilibre immunitaire et prévenir les maladies auto-immunes. Cependant, les cellules cancéreuses ont développé la capacité remarquable d’exploiter ce mécanisme de protection naturel en exprimant massivement PD-L1 à leur surface, créant ainsi un “bouclier moléculaire” qui les protège efficacement de l’attaque immunitaire45.
Le pembrolizumab agit en se liant spécifiquement et avec une très haute affinité au récepteur PD-1. Cette liaison empêche l’interaction entre PD-1 et ses ligands suppresseurs PD-L1 et PD-L2, levant ainsi le frein exercé sur les lymphocytes T. Une fois libérés de cette inhibition, les lymphocytes T retrouvent leur capacité intrinsèque à reconnaître, attaquer et détruire les cellules cancéreuses. Cette réactivation du système immunitaire peut conduire à une régression tumorale durable et à une amélioration significative de la survie des patients, créant parfois une mémoire immunitaire à long terme56.
Indications thérapeutiques et efficacité clinique
Dans le cancer du poumon non à petites cellules, les résultats des études KEYNOTE sont révolutionnaires. L’étude KEYNOTE-024 chez les patients avec une forte expression de PD-L1 (≥50%) a montré une survie médiane de 26,3 mois avec pembrolizumab en monothérapie, avec un taux de survie à cinq ans de 31,9%7, 8. Une étude récente de pratique réelle incluant 1050 patients de 61 institutions dans 14 pays a confirmé ces résultats avec un taux de survie à cinq ans de 26,9% et une survie médiane de 21,8 mois.
Pour le cancer du poumon non squameux, l’étude KEYNOTE-189 a démontré que l’association pembrolizumab plus chimiothérapie permettait d’atteindre une survie médiane de 22 mois avec un taux de survie à cinq ans de 19,4%9,10. Dans le cancer squameux (KEYNOTE-407), la survie médiane était de 17 mois avec un taux de survie à cinq ans de 18,4%11.
L’étude KEYNOTE-042 avec un suivi de 5 ans a montré que pembrolizumab en première ligne améliore significativement la survie globale versus chimiothérapie chez les patients avec PD-L1 TPS ≥1%, avec des taux de survie à 5 ans de 21,9% (TPS ≥50%), 19,4% (TPS ≥20%) et 16,6% (TPS ≥1%)12.
Cancer colorectal métastatique
L’étude KEYNOTE-177 dans le cancer colorectal métastatique MSI-H/dMMR a montré des résultats remarquables. Le pembrolizumab en première ligne a permis d’atteindre une survie sans progression médiane de 16,5 mois comparée à 8,2 mois avec la chimiothérapie standard13,14. L’analyse finale de survie globale a confirmé un bénéfice de survie avec pembrolizumab (HR 0,74; 95% IC, 0,53-1,03)15. Cette étude a conduit à l’approbation du pembrolizumab par la FDA et Santé Canada pour cette indication spécifique16.
Cancer du sein triple négatif
Dans l’étude KEYNOTE-522, l’ajout de pembrolizumab à la chimiothérapie néoadjuvante puis en adjuvant chez les patientes avec cancer du sein triple négatif précoce à haut risque a significativement amélioré la réponse complète pathologique (64,8% vs 51,2%; p<0,001) et la survie sans événement17, 18. Cette approche a également démontré une amélioration de la survie globale, réduisant le risque de décès de 28%.
Comment est-il administré ?
Le pembrolizumab est exclusivement administré par voie intraveineuse en milieu hospitalier sous la surveillance d’une équipe médicale expérimentée en oncologie. La posologie standard pour les adultes est de 200 mg toutes les 3 semaines ou 400 mg toutes les 6 semaines, administrés en perfusion de 30 minutes1, 19. Ces doses fixes ont été validées par des études pharmacocinétiques approfondies qui ont démontré leur équivalence avec les doses calculées selon le poids corporel.
Chez les enfants et adolescents âgés de 3 ans et plus (pour certaines indications), la dose recommandée est de 2 mg par kilogramme de poids corporel toutes les 3 semaines20. Cette approche pédiatrique permet d’adapter précisément la dose à la morphologie de l’enfant tout en maintenant l’efficacité thérapeutique.
La première perfusion est généralement programmée sur 90 minutes pour surveiller attentivement votre tolérance au traitement et détecter d’éventuelles réactions à la perfusion. Si cette première administration se déroule sans problème, les perfusions suivantes peuvent être raccourcies à 30 minutes. Contrairement à de nombreuses chimiothérapies, le pembrolizumab ne nécessite généralement pas de pré-médication systématique, bien que votre équipe médicale puisse décider d’administrer des médicaments préventifs selon votre situation particulière.
Profil de sécurité et effets indésirables
Le profil de sécurité du pembrolizumab diffère fondamentalement de celui des chimiothérapies traditionnelles. Les effets secondaires les plus fréquents, observés chez plus de 10% des patients, incluent les diarrhées (12%), les nausées (10%), les problèmes cutanés tels que démangeaisons (15%) et éruptions (13%), ainsi qu’une sensation de fatigue (22%)21. La majorité de ces effets sont de grade 1 et 2, c’est-à-dire légers à modérés.
La particularité majeure du pembrolizumab réside dans les effets indésirables liés à l’activation du système immunitaire, appelés effets indésirables immuno-médiés. Ces réactions peuvent potentiellement affecter tous les organes et systèmes de l’organisme. La pneumopathie immuno-médiée représente l’effet indésirable le plus préoccupant, survenant chez environ 3% à 5% des patients selon les études. Cette complication pulmonaire peut être grave et constitue la principale cause de préoccupation lors du traitement.
Les autres effets immuno-médiés significatifs incluent la colite (inflammation du côlon) survenant chez 1% à 5% des patients, l’hépatite auto-immune, les troubles endocriniens comme l’hypothyroïdie (8% à 10% des patients), l’hyperthyroïdie, l’hypophysite, le diabète de type 1, et les réactions cutanées sévères. Dans l’ensemble, les effets indésirables immuno-médiés de grade sévère (grade 3-4) surviennent chez environ 10% à 15% des patients, mais la majorité sont réversibles s’ils sont détectés et traités précocement avec des corticoïdes.
Surveillance médicale et suivi
Un suivi médical rigoureux et méticuleux est absolument essentiel tout au long de votre traitement par pembrolizumab. Avant chaque perfusion, une évaluation complète comprenant un examen clinique approfondi et des analyses sanguines complètes est réalisée pour vérifier le bon fonctionnement de tous vos organes vitaux. Les paramètres surveillés incluent systématiquement la numération sanguine complète, les enzymes hépatiques (ALAT, ASAT, bilirubine), la fonction rénale (créatinine, urée), les électrolytes et les hormones thyroïdiennes (TSH, T3, T4).
Votre équipe médicale vous éduquera de manière détaillée sur les signes d’alerte à surveiller entre les consultations. Il est absolument crucial de signaler immédiatement toute toux persistante ou nouvel essoufflement (signes possibles de pneumopathie), toute diarrhée importante ou persistante (plus de 4 selles par jour), toute jaunisse ou coloration anormale des urines, toute fatigue extrême inhabituelle ou tout changement dans votre état général, et toute éruption cutanée généralisée ou sévère.
Une carte d’alerte vous sera systématiquement remise au début du traitement, contenant les informations essentielles à présenter en cas de consultation d’urgence dans un autre établissement. Cette carte mentionne votre traitement par pembrolizumab et les principaux effets secondaires à surveiller.
L’imagerie médicale par scanner ou IRM est réalisée régulièrement, généralement toutes les 8 à 12 semaines selon votre type de cancer, pour évaluer l’efficacité du traitement sur votre maladie. Cette surveillance permet d’adapter la prise en charge et de décider de la poursuite ou de l’arrêt du traitement selon l’évolution de votre situation clinique et radiologique.
Contre-indications et précautions spéciales
Le pembrolizumab ne présente pas de contre-indication absolue formelle dans sa notice officielle1, mais certaines situations nécessitent une évaluation particulièrement approfondie et une surveillance renforcée. Les patients ayant des antécédents de maladies auto-immunes actives telles que la polyarthrite rhumatoïde, le lupus systémique, la maladie de Crohn, ou la sclérose en plaques doivent être évalués soigneusement car le médicament peut potentiellement exacerber ces conditions préexistantes.
La grossesse et l’allaitement constituent des contre-indications importantes car le pembrolizumab peut traverser la barrière placentaire et potentiellement causer des dommages au développement fœtal. Une contraception efficace est strictement obligatoire pendant toute la durée du traitement et doit être maintenue pendant au moins 4 mois après la dernière administration pour les femmes en âge de procréer. Un test de grossesse est systématiquement requis avant le début du traitement.
Les hommes dont la partenaire est en âge de procréer doivent également utiliser une contraception efficace car le pembrolizumab peut affecter la fertilité masculine. Si vous envisagez d’avoir des enfants, il est recommandé de discuter de la conservation de gamètes avec votre équipe médicale avant le début du traitement.
Les vaccins vivants atténués doivent être évités pendant le traitement car ils pourraient provoquer une infection chez les patients dont le système immunitaire est stimulé. Les vaccins inactivés peuvent être administrés mais leur efficacité pourrait être réduite. Les patients ayant reçu une greffe d’organe solide nécessitent une surveillance particulièrement étroite car le risque de rejet de greffe est augmenté.
Impact sur la qualité de vie
Contrairement aux chimiothérapies traditionnelles qui peuvent significativement altérer la qualité de vie des patients, le pembrolizumab tend généralement à maintenir, voire améliorer, le bien-être général des patients. L’étude KEYNOTE-024 dans le cancer du poumon avancé a spécifiquement évalué la qualité de vie liée à la santé et a démontré que les patients traités par pembrolizumab maintenaient leur état de santé global plus longtemps que ceux recevant une chimiothérapie standard.
Les évaluations utilisant des questionnaires standardisés et validés de qualité de vie ont montré que la détérioration de l’état de santé général survenait significativement plus tard chez les patients traités par pembrolizumab. Les capacités physiques étaient mieux préservées, et les patients rapportaient moins de symptômes invalidants liés au traitement. Cette amélioration de la qualité de vie s’accompagne d’une meilleure tolérance globale du traitement et d’un maintien plus prolongé de l’autonomie.
Dans l’étude KEYNOTE-522 sur le cancer du sein triple négatif, l’analyse des questionnaires de qualité de vie EORTC QLQ-C30 et QLQ-BR23 a montré que l’ajout de pembrolizumab à la chimiothérapie n’aggravait pas significativement la qualité de vie des patientes, malgré un profil d’effets secondaires différent18.
Conseils pratiques pour optimiser votre traitement
Pour tirer le meilleur parti de votre traitement par pembrolizumab, plusieurs recommandations pratiques peuvent vous aider significativement. Maintenez une excellente hydratation, particulièrement importante en cas de diarrhée, de fièvre, ou de symptômes gastro-intestinaux. L’objectif est de boire au moins 1,5 à 2 litres d’eau par jour, sauf contre-indication médicale spécifique.
Tenez un carnet de suivi détaillé où vous noterez quotidiennement votre poids, votre température si elle vous semble élevée, la fréquence et la consistance de vos selles, votre niveau de fatigue sur une échelle de 1 à 10, votre humeur et votre appétit. Ces informations seront extrêmement précieuses pour votre oncologue lors des consultations de suivi et permettront une détection précoce d’éventuels effets secondaires.
Le repos entre les perfusions est important car la fatigue peut parfois être cumulative, bien qu’elle soit généralement réversible. N’hésitez pas à adapter votre rythme de vie selon vos capacités et à demander de l’aide pour les tâches quotidiennes si nécessaire. La poursuite d’une activité physique légère et adaptée, comme la marche ou des exercices doux, est généralement bénéfique et vivement recommandée par les équipes médicales pour maintenir votre condition physique et votre moral.
Signalez immédiatement tout nouveau médicament, complément alimentaire, ou remède naturel que vous souhaitez prendre, même s’il vous semble anodin. Cette précaution est importante car certaines interactions peuvent affecter l’efficacité du traitement ou augmenter le risque d’effets secondaires. La communication ouverte et transparente avec votre équipe soignante reste la clé d’un traitement réussi et d’une prise en charge optimale de votre maladie.
En cas de voyage, emportez toujours un résumé médical récent et détaillé mentionnant votre traitement par pembrolizumab, les dates de vos dernières perfusions, et les coordonnées complètes de votre équipe soignante. Cette précaution peut s’avérer absolument essentielle en cas d’urgence médicale loin de votre centre de traitement habituel, permettant aux médecins locaux de comprendre rapidement votre situation et d’adapter leur prise en charge.
Références principales:
Documents officiels et réglementaires
– Résumé des Caractéristiques du Produit Keytruda® (pembrolizumab) – EMA12
– Summary of Product Characteristics pembrolizumab (Medicines.org.uk)2
– Avis HAS pembrolizumab Keytruda® – Haute Autorité de Santé France34
– Scottish Medicines Consortium Assessment pembrolizumab5
– FDA Prescribing Information Keytruda® (pembrolizumab)6
Mécanisme d’action
– Pembrolizumab mechanism Wikipedia9
Études cliniques pivots
– KEYNOTE-006 : Données à 10 ans mélanome avancé (Ann Oncol 2024)
– KEYNOTE-024 : Première ligne CBNPC PD-L1 ≥50% (J Clin Oncol 2021)
– KEYNOTE-189 : Association chimiothérapie CBNPC non-squameux8
– KEYNOTE-177 : Cancer colorectal MSI-H/dMMR (Lancet Oncol 2022)
– KEYNOTE-522 : Cancer du sein triple négatif (N Engl J Med 2022)
Revues des effets indésirables et toxicités immunitaires
– Immune-related adverse events of immune checkpoint inhibitors: a review (Front Immunol 2023)10
– Safety profile pembrolizumab monotherapy 8937 patients (Eur J Cancer 2024)11
– Analysis of immune-related adverse events pembrolizumab FAERS (2025)12
– Chronic immune-related adverse events pembrolizumab (PMC 2024)13
Surveillance et corrélation toxicités-efficacité
– Correlation immune-related adverse events and treatment outcome NSCLC (PMC 2020)14
– Association pembrolizumab adverse events treatment outcome melanoma – Dutch Expanded Access Program (J Immunother 2019)15
– Association immune-related adverse events clinical outcomes head and neck cancer (medRxiv 2023)16